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NCSM Chicoutimi et Derek Speirs
La Presse
Jour du Souvenir Il y a 20 ans, le cauchemar du NCSM Chicoutimi
(PHOTO FRANK GUNN, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE)
Le NCSM Chicoutimi retourne à la base navale de Faslane, en Écosse, amarré à un remorqueur, en octobre 2004.
Il rêvait de servir dans un sous-marin. Il s’est trouvé au mauvais endroit au mauvais moment. Comment un accident a changé la vie de Derek Speirs.
Publié à 1h13 Jean-Christophe Laurence
« La première idée que j’ai eue, c’est : si je meurs, j’espère que ça va être vite. »
Derek Speirs se souviendra toujours de l’accident qui a failli lui coûter la vie à bord du NCSM Chicoutimi en 2004. S’il dit avoir tourné la page, il en ressent encore les contrecoups physiques et psychologiques, 20 ans après les évènements. Pour lui, ce souvenir a un mauvais goût de fumée noire et de stress post-traumatique.
Le NCSM Chicoutimi est l’un des quatre sous-marins diesels-électriques d’occasion achetés pour 750 millions de dollars par le Canada au Royaume-Uni, à la fin des années 1990. C’est aussi le dernier du lot à avoir été ramené au Canada, début octobre 2004, depuis la base britannique de Faslane, en Écosse. Un voyage inaugural qui s’est avéré fatal.
Le 5 octobre, alors qu’il est en route vers Halifax, on découvre un écrou desserré sur l’évent supérieur de la tourelle du NCSM Chicoutimi.
Le commandant Luc Pelletier ordonne de réparer la faille, malgré la tempête qui sévit ce jour-là au large des côtes irlandaises. Malgré la mer démontée, il faut laisser les deux écoutilles ouvertes pour que les techniciens ne soient pas isolés à l’extérieur du sous-marin pendant l’opération. Cette décision s’avère fatale : une vague gigantesque submerge le sous-marin, laissant pénétrer 2000 litres d’eau de mer dans celui-ci. L’inondation s’attaque aux câbles électriques et provoque un court-circuit suivi d’un incendie.
(PHOTO FOURNIE PAR DEREK SPEIRS)
Derek Speirs (à droite) et un autre cuistot, à bord du NCSM Chicoutimi, quelques heures après l’incident qui a coûté la vie à un membre de l’équipage.
Derek Speirs, qui était cuisinier à bord, se trouve alors dans le mess des juniors avec des collègues. Ses souvenirs sont clairs : « On jasait toute la gang. J’ai entendu comme un bruit de pop-corn. Pop. Pop. Pop. J’ai dit : hé, les gars, c’est quoi ça ? Aussitôt que j’ai dit ça, l’alarme est partie. Une grosse fumée noire est rentrée. On ne voyait rien. Initialement, j’ai paniqué. Après ça, l’entraînement a embarqué. J’ai mis mon masque à oxygène, puis j’en ai mis d’autres sur le monde qui n’en avait pas, en leur disant de ne pas vomir dedans pour ne pas bloquer la ligne d’air. Tout ça en pleine obscurité. En se faisant brasser par la tempête. »
Derek Speirs a pensé « pendant une couple de secondes » qu’il allait mourir. Il s’en est sorti, mais tous n’ont pas eu cette chance. L’épaisse fumée provoquée par l’incendie a causé la mort d’un officier et blessé six autres matelots, qui n’ont pas eu accès à temps à une source d’oxygène.
Une fois l’incendie maîtrisé, le NCSM Chicoutimi a été ramené à son port d’origine, où il restera quelques mois avant de revenir à Halifax pour être réparé.
À l’époque, cet incident avait fait la manchette. On avait critiqué l’achat de ces quatre navires « usagés », considéré comme suspect puisque la marine britannique s’en était départie après seulement 15 ans. Avec raison : outre le NCSM Chicoutimi, les trois autres sous-marins achetés au Royaume-Uni ont connu leur part de déconvenues, avec des réparations estimées à 1,5 milliard et plus de séjours au garage que dans l’eau.
Édition de La Presse du 6 octobre 2004
Près de 10 ans après leur achat, les quatre submersibles n’avaient réalisé que 254 jours de patrouille. Et n’auraient fait aucun séjour en mer pendant la seule année 2019, selon le site The Warzone. Le Chicoutimi, en particulier, devra attendre 2015 pour être officiellement réintégré dans la marine canadienne.
À noter que le capitaine et l’équipage du sous-marin ont été exonérés de tout blâme à la suite d’une commission d’enquête, même si « des facteurs humains » avaient contribué au drame.
Des séquelles coûteuses
Pour Derek Speirs, la vie n’a plus jamais été la même à la suite de cet évènement. Six mois plus tard, il a craqué pendant le dévoilement d’un rapport sur l’accident du Chicoutimi. « Le commandant m’a pris dans ses bras et il m’a dit : ‟regarde, Derek, t’as rien à prouver”. Ils m’ont renvoyé à la maison. »
Puis les problèmes physiques ont commencé. En 2006, Derek a commencé à se sentir « un peu mêlé », des vertiges, « comme une sensation d’ascenseur qui tombe », dit-il. Il a ensuite fait trois crises d’épilepsie, dont une qui a entraîné la fracture de cinq vertèbres. Résultat d’une prédisposition, selon le neurologue, qui se serait déclarée à la suite du stress post-traumatique. Il n’est jamais retourné dans un sous-marin, lui qui avait rêvé toute sa vie d’être sous-marinier.
En 2011, après 22 années de service, dont trois ans en Allemagne, six mois avec les Casques bleus en Syrie, deux séjours sur des navires de guerre et une traversée de l’Atlantique ratée à bord du Chicoutimi, Derek Speirs est remercié par les Forces armées, en raison de ses problèmes d’épilepsie.
« Je ne rencontrais pas ‟l’universalité” du service parce qu’il fallait que je prenne trois pilules deux fois par jour pour contrôler mon épilepsie. Juste à cause de ça, ils m’ont sorti. J’ai eu l’impression de me faire jeter dehors comme une poubelle. »
Les trois années suivantes n’ont pas été roses, ajoute-t-il. « Quand je suis sorti de l’armée, j’étais malade, en colère, en stress post-traumatique, j’avais une grosse dépression, des fractures mal diagnostiquées à la colonne, ça n’allait pas super bien. »
PHOTO FOURNIE PAR VETERANS UN-NATO CANADA
Derek Speirs en juin 2024, après son élection en tant que président de Veterans UN-NATO Canada
Recyclé dans la fonction publique, il prend sa retraite définitive en 2014, à l’âge de 42 ans. Dans la foulée, il commence à s’impliquer dans l’organisation Veterans UN-NATO Canada, plus gros regroupement de vétérans au pays après la « Légion », avec ses quelque 17 000 membres à travers le Canada.
Cette famille reconstituée lui permettra d’avoir un meilleur accès aux services pour les vétérans, mais aussi de se découvrir une nouvelle vocation, à savoir l’accompagnement des anciens militaires, parfois traumatisés, qui vivent souvent dans l’isolement. « À peu près 80 % d’entre eux ne sont pas capables de se réajuster à la vie civile, dit-il. Nous, on est là pour leur redonner l’esprit de vivre », dit-il.
En 2024, Derek Speirs est devenu président de l’organisation, comme une consécration de sa nouvelle vie. Il souffre toujours de douleurs chroniques au dos, mais ses cauchemars, sa claustrophobie et sa colère se sont estompés. Malgré tout, l’épisode du 5 octobre 2004 reste toujours gravé dans sa mémoire. Avec raison.
« J’y pense souvent, conclut-il. Ça a changé ma vie complètement. »
Vétérans UN-NATO Canada
Il y a un menu en anglais et en français sur le site, dans l'hyperlien en haut.
La Presse
Jour du Souvenir Il y a 20 ans, le cauchemar du NCSM Chicoutimi
(PHOTO FRANK GUNN, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE)
Le NCSM Chicoutimi retourne à la base navale de Faslane, en Écosse, amarré à un remorqueur, en octobre 2004.
Il rêvait de servir dans un sous-marin. Il s’est trouvé au mauvais endroit au mauvais moment. Comment un accident a changé la vie de Derek Speirs.
Publié à 1h13 Jean-Christophe Laurence
« La première idée que j’ai eue, c’est : si je meurs, j’espère que ça va être vite. »
Derek Speirs se souviendra toujours de l’accident qui a failli lui coûter la vie à bord du NCSM Chicoutimi en 2004. S’il dit avoir tourné la page, il en ressent encore les contrecoups physiques et psychologiques, 20 ans après les évènements. Pour lui, ce souvenir a un mauvais goût de fumée noire et de stress post-traumatique.
Le NCSM Chicoutimi est l’un des quatre sous-marins diesels-électriques d’occasion achetés pour 750 millions de dollars par le Canada au Royaume-Uni, à la fin des années 1990. C’est aussi le dernier du lot à avoir été ramené au Canada, début octobre 2004, depuis la base britannique de Faslane, en Écosse. Un voyage inaugural qui s’est avéré fatal.
Le 5 octobre, alors qu’il est en route vers Halifax, on découvre un écrou desserré sur l’évent supérieur de la tourelle du NCSM Chicoutimi.
Le commandant Luc Pelletier ordonne de réparer la faille, malgré la tempête qui sévit ce jour-là au large des côtes irlandaises. Malgré la mer démontée, il faut laisser les deux écoutilles ouvertes pour que les techniciens ne soient pas isolés à l’extérieur du sous-marin pendant l’opération. Cette décision s’avère fatale : une vague gigantesque submerge le sous-marin, laissant pénétrer 2000 litres d’eau de mer dans celui-ci. L’inondation s’attaque aux câbles électriques et provoque un court-circuit suivi d’un incendie.
(PHOTO FOURNIE PAR DEREK SPEIRS)
Derek Speirs (à droite) et un autre cuistot, à bord du NCSM Chicoutimi, quelques heures après l’incident qui a coûté la vie à un membre de l’équipage.
Derek Speirs, qui était cuisinier à bord, se trouve alors dans le mess des juniors avec des collègues. Ses souvenirs sont clairs : « On jasait toute la gang. J’ai entendu comme un bruit de pop-corn. Pop. Pop. Pop. J’ai dit : hé, les gars, c’est quoi ça ? Aussitôt que j’ai dit ça, l’alarme est partie. Une grosse fumée noire est rentrée. On ne voyait rien. Initialement, j’ai paniqué. Après ça, l’entraînement a embarqué. J’ai mis mon masque à oxygène, puis j’en ai mis d’autres sur le monde qui n’en avait pas, en leur disant de ne pas vomir dedans pour ne pas bloquer la ligne d’air. Tout ça en pleine obscurité. En se faisant brasser par la tempête. »
Derek Speirs a pensé « pendant une couple de secondes » qu’il allait mourir. Il s’en est sorti, mais tous n’ont pas eu cette chance. L’épaisse fumée provoquée par l’incendie a causé la mort d’un officier et blessé six autres matelots, qui n’ont pas eu accès à temps à une source d’oxygène.
Une fois l’incendie maîtrisé, le NCSM Chicoutimi a été ramené à son port d’origine, où il restera quelques mois avant de revenir à Halifax pour être réparé.
À l’époque, cet incident avait fait la manchette. On avait critiqué l’achat de ces quatre navires « usagés », considéré comme suspect puisque la marine britannique s’en était départie après seulement 15 ans. Avec raison : outre le NCSM Chicoutimi, les trois autres sous-marins achetés au Royaume-Uni ont connu leur part de déconvenues, avec des réparations estimées à 1,5 milliard et plus de séjours au garage que dans l’eau.
Édition de La Presse du 6 octobre 2004
Près de 10 ans après leur achat, les quatre submersibles n’avaient réalisé que 254 jours de patrouille. Et n’auraient fait aucun séjour en mer pendant la seule année 2019, selon le site The Warzone. Le Chicoutimi, en particulier, devra attendre 2015 pour être officiellement réintégré dans la marine canadienne.
À noter que le capitaine et l’équipage du sous-marin ont été exonérés de tout blâme à la suite d’une commission d’enquête, même si « des facteurs humains » avaient contribué au drame.
Des séquelles coûteuses
Pour Derek Speirs, la vie n’a plus jamais été la même à la suite de cet évènement. Six mois plus tard, il a craqué pendant le dévoilement d’un rapport sur l’accident du Chicoutimi. « Le commandant m’a pris dans ses bras et il m’a dit : ‟regarde, Derek, t’as rien à prouver”. Ils m’ont renvoyé à la maison. »
Puis les problèmes physiques ont commencé. En 2006, Derek a commencé à se sentir « un peu mêlé », des vertiges, « comme une sensation d’ascenseur qui tombe », dit-il. Il a ensuite fait trois crises d’épilepsie, dont une qui a entraîné la fracture de cinq vertèbres. Résultat d’une prédisposition, selon le neurologue, qui se serait déclarée à la suite du stress post-traumatique. Il n’est jamais retourné dans un sous-marin, lui qui avait rêvé toute sa vie d’être sous-marinier.
En 2011, après 22 années de service, dont trois ans en Allemagne, six mois avec les Casques bleus en Syrie, deux séjours sur des navires de guerre et une traversée de l’Atlantique ratée à bord du Chicoutimi, Derek Speirs est remercié par les Forces armées, en raison de ses problèmes d’épilepsie.
« Je ne rencontrais pas ‟l’universalité” du service parce qu’il fallait que je prenne trois pilules deux fois par jour pour contrôler mon épilepsie. Juste à cause de ça, ils m’ont sorti. J’ai eu l’impression de me faire jeter dehors comme une poubelle. »
Les trois années suivantes n’ont pas été roses, ajoute-t-il. « Quand je suis sorti de l’armée, j’étais malade, en colère, en stress post-traumatique, j’avais une grosse dépression, des fractures mal diagnostiquées à la colonne, ça n’allait pas super bien. »
PHOTO FOURNIE PAR VETERANS UN-NATO CANADA
Derek Speirs en juin 2024, après son élection en tant que président de Veterans UN-NATO Canada
Recyclé dans la fonction publique, il prend sa retraite définitive en 2014, à l’âge de 42 ans. Dans la foulée, il commence à s’impliquer dans l’organisation Veterans UN-NATO Canada, plus gros regroupement de vétérans au pays après la « Légion », avec ses quelque 17 000 membres à travers le Canada.
Cette famille reconstituée lui permettra d’avoir un meilleur accès aux services pour les vétérans, mais aussi de se découvrir une nouvelle vocation, à savoir l’accompagnement des anciens militaires, parfois traumatisés, qui vivent souvent dans l’isolement. « À peu près 80 % d’entre eux ne sont pas capables de se réajuster à la vie civile, dit-il. Nous, on est là pour leur redonner l’esprit de vivre », dit-il.
En 2024, Derek Speirs est devenu président de l’organisation, comme une consécration de sa nouvelle vie. Il souffre toujours de douleurs chroniques au dos, mais ses cauchemars, sa claustrophobie et sa colère se sont estompés. Malgré tout, l’épisode du 5 octobre 2004 reste toujours gravé dans sa mémoire. Avec raison.
« J’y pense souvent, conclut-il. Ça a changé ma vie complètement. »
Vétérans UN-NATO Canada
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